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Un Psy dans la ville
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Culture

Tout ce qui, en matière de culture, littérature, théâtre, cinéma et d’autres sources encore, nourrit notre pensée.

Ordre naturel ?

La question revient sans cesse, presque obsédante, toujours sans réponse : pourquoi, dans nos sociétés, et dans la majorité des civilisations humaines, les femmes sont-elles dominées par les hommes ? Comment s’expliquer, comprendre, que les êtres humains de sexe masculin ont pris possession et contrôle des êtres humains de sexe féminin ? L’expliquer par la différence de force physique ne nous satisfera qu’un instant. Porter, mettre au monde, et élever les enfants, voilà sans doute un modèle d’explication à la sédentarité et au confinement des femmes, mais qui ne justifie pas la domination et la violence dont elles pâtissent depuis des millénaires. Fallait-il les contraindre par la force à la procréation ? Peut-être, car, pendant des millénaires, grossesse et accouchement étaient dangereux pour les femmes. Si elles l’avaient pu, on imagine que, telles les Amazones, elles s’y seraient volontiers soustraites, au risque d’une extinction de la race humaine … Contraindre les femmes au confinement, à la sédentarité, voire les prendre de force pour assurer la procréation, est peut-être la seule façon que l’humanité a inventé pour ne pas disparaitre.

Dans certains lieux, quelques sociétés se sont développées selon un mode matrilinéaire dans lequel les hommes sont intégrés et non dominés, à l’inverse des sociétés patriarcales. Dans ces sociétés, l’égocentrisme, le narcissisme, s’effacent au profit du collectif.

Mais que vient faire la psychanalyse dans cette réflexion ? Nous nous demandons si la psychanalyse, inventée à la fin du XIX° siècle, période la plus patriarcale qui soit dans les sociétés occidentales, n’a pu qu’entériner un état de fait anthropologique.

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Tenir sa langue

« Tenir sa langue » s’entend comme une injonction à se taire : retenir sa langue dans la bouche et n’émettre aucun son. Mais tenir sa langue, dans le récit éponyme de Polina Panassenko, c’est tenir à sa langue, la soutenir, la maintenir et l’entretenir.

Prenant comme point de départ la démarche judiciaire pour retrouver son prénom russe, Polina, francisé en Pauline au moment où lui fut attribuée la nationalité française, l’auteure explore avec humour le passage d’une langue à une autre, l’apprentissage de deux langues, celle du dedans et celle du dehors, celle de l’intime et celle du social. Et cette exploration commence à hauteur d’enfant, lorsque, fillette de cinq ans, elle est « lâchée » dans la cour d’une école maternelle qui n’est pas celle de sa langue, maternelle justement. La mère s’en va, laisse l’enfant : « quand je me retourne elle a disparu.  En ce même instant tous les mots disparaissent. » Dès lors il n’y a que des sons. Polina Panassenko narre avec humour et néanmoins sensibilité son apprentissage du tissage des sons avec les mots qu’ils signifient. La puissance de ce livre tient pour une grande part à la faculté de revenir à l’expérience de l’enfant qui apprend à parler. Expérience oubliée pour la plupart d’entre nous, qui n’avons pas eu affaire à la nécessité d’un bi-linguisme, mais expérience forcément vécue car universelle.

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Yoga

Yoga d’Emmanuel Carrère est un livre « associatif ». Sous ce mot-titre, Yoga signifiant en sanscrit le joug avec lequel on attelait les boeufs, l’auteur tente de faire tenir ensemble des situations, des états qui n’ont a priori aucune vocation à tenir ensemble, tout au plus pourrait-on imaginer les juxtaposer. Or ce livre a une cohérence.

D’écriture d’abord, écriture de l’intime, familière à l’auteur qui met en mots ce qu’il a lui-même vécu. Ainsi le récit est à la fois récit d’expérience(s) et expérience d’écriture car c’est elle qui permet que tiennent ensemble des registres aussi différents qu’une retraite de méditation vipassana, l’attentat
de Charlie Hebdo, un internement à Sainte-Anne, un séjour dans un camp de migrants sur une île grecque… Il ne fait que souligner que nos vies sont des assemblages disparates de choses que nous nous efforçons de faire tenir ensemble.

L’association libre est au cœur de la technique analytique, c’est ce que le psychanalyste encourage au fil des cures.

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Phèdre

Dans un court texte de 1922 (1), Freud utilise comme métaphore du sexe féminin, la tête de Méduse, représentée dans la mythologie grecque avec une chevelure faite de serpents, et dont la vue frappe le spectateur d’horreur et le pétrifie. Le sexe féminin, selon les premières théories psychanalytiques, inspirerait de l’effroi car il se présenterait mutilé, châtré, en comparaison du sexe masculin. A condition bien entendu que ledit spectateur soit un homme… Mais au fond, est-ce seulement le sexe féminin qui inspire autant de crainte à l’homme ? Ne serait-ce pas plutôt le désir féminin, sa puissance, son expression même qui engendrerait l’incrédulité, voire la panique, de l’homme.

N’est-ce pas cela que vit Hippolyte lorsque sa belle-mère, Phèdre, lui avoue un désir qui les submerge tous deux, et le montre pétrifié tel le voyageur antique devant la tête de Méduse, figé devant une femme qui expose un désir insupportable à regarder.

Dans la pièce de Racine, remarquablement mise en scène par Brigitte Jacques-Wajeman (2), Phèdre se consume littéralement de désir sous nos yeux, elle met en acte la violence inouïe de son désir, en même temps que la honte provoquée par la transgression et l’immoralité de son penchant. Sans cesse aux frontières de l’extase, elle nous dévoile la dimension sacrée de la jouissance dont la seule issue est la mort. Une jouissance que l’on pourrait qualifier d’inhumaine, aux confins de l’extase mystique, qui nous entrainerait dans un au-delà de l’humanité. Proche de la folie, déraisonnable, Phèdre est humaine. Le personnage, terriblement incarné dans le corps de la comédienne nous parle de ce jusqu’au bout du désir, de ce qui ne peut être atteint, mais qui concerne tous les humains.

Racine aurait-il approché quelque-chose de la folie du désir, d’une violence qui méduse celui, ou celle, qui s’y confronte ? C’est à travers la langue que s’incarne le charnel, de cette langue qui nous vient d’ailleurs, d’un XVII° siècle qui n’était pas corseté de la même façon que le notre à l’égard du désir charnel.

La langue permet de dire et d’entendre le jusqu’au bout du désir, sa mise en acte dans le corps que prête la comédienne au personnage. La metteuse en scène dit de l’alexandrin que c’est une langue jubilante qu’elle la travaille comme une langue étrangère. Peut-être que cette langue contient, davantage que la prose, la passion, laquelle derrière la structure cadencée des 12 pieds menace à tout moment d’exploser. Quoi de plus contenant en effet que cette langue formelle, contraignante et parfois glacée, pour dire l’insupportable, le jusqu’au bout du désir ?

La pièce, magistralement servie par une mise en scène qui nous donne à entendre les vers de Racine, se déroule comme un combat pour dire ce qui va au-delà de la parole, pour révéler le charnel. On l’écoute comme en apnée, ou peut-être fascinés à notre tour comme dans le mythe grec. Et l’on y entend l’universalité du désir, cet absolu qui anime autant les femmes que les hommes.

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No future

Un personnage de roman à l’unisson du désenchantement social, c’est ainsi que se présente le héros de « Sérotonine »[1], le dernier livre de Michel Houellebecq. Portrait d’un homme désabusé, désespéré, nostalgique des amours perdus, aux prises avec un avenir barré, ce faux héros ferait la synthèse de l’homo capitaliste du début du XXI° siècle : angoissé et déprimé de vivre dans un monde d’incertitudes. Car l’environnement qu’il décrit est aussi désenchanteur et désenchanté que lui-même : monde d’inquiétudes et d’angoisses sociales, économiques, politiques, replié sur lui même et haineux. Les colères ne semblent plus pouvoir le sauver.

Seule la vie amoureuse apporterait de la joie à cette vie sans saveur, mais pour celui-là qui nous est conté tout est définitivement trop tard.

De cette peinture d’une époque, d’une société inquiète et désenchantée, le lecteur en reconnaîtra la familiarité : c’est sans doute cela qui dérange dans les romans de Houellebecq, cette manière trop précise, trop crue, de nous narrer notre environnement. Nous pourrions oublier trop vite que la littérature n’engage que son auteur. Le personnage et son cadre ne sont que pure fiction, mais comme toute fiction elle puise ses sources dans le réel.

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La « magie lente »

Cette magie lente[1] est une pièce de théâtre de Denis Lachaud, et son titre aurait été inspiré à l’auteur par une phrase de Freud « la psychanalyse est une magie lente ». De psychanalyse, il est en effet question pendant l’heure et quelques minutes que dure le spectacle, et dans cet intervalle qui ne contiendrait au mieux que deux séances se déroule en accéléré l’essentiel d’une cure.

Au festival d’Avignon, dans la touffeur de juillet, la pièce faisait salle comble et l’on se demande ce qui a poussé le public à venir entendre les mots crus, la violence d’un propos hors norme, un texte sans concession. Est-ce la fascination qu’exerce encore la psychanalyse, ou bien l’actualité intemporelle d’une histoire de viol d’enfant, ou encore la performance d’un comédien[2] qui semble à chaque minute jouer sa propre peau ? Sans doute tout cela à la fois.

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Questions sur le féminin

« Le féminin toujours en question » écrivions-nous il y a quelques semaines. Le féminin questionné fait le sujet d’une pièce de théâtre[1], écrite en 1870 par Villiers de l’Isle Adam, et jouée ce printemps sur une scène parisienne.Questions sur le féminin

Elisabeth, jeune femme bourgeoise, assiste efficacement son mari dans la gestion de ses affaires et de sa fortune, manifestement plus intelligente et douée que lui. Un soir, après avoir mis de l’ordre dans les comptes, elle lui annonce qu’elle s’en va. Elle veut vivre autrement, elle veut avoir du temps pour rêver, pour contempler, et sans doute aussi pour penser. Ainsi par sa révolte contre l’ordre bourgeois, masculin, capitaliste et consumériste, elle ouvre l’espace de l’intime, de l’idéal, du combat pour vivre par soi-même, exister comme sujet.

Cette héroïne n’est pas sans rappeler quelques autres,

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Corps en souffrance

Que la souffrance tienne à une cause organique, qu’elle soit liée à une raison affective ou bien encore qu’elle soit un fait du psychisme, c’est toujours le corps qui est le lieu de la souffrance.

L’actualité littéraire met en scène des corps qui souffrent, dans deux textes qui n’ont de commun que corps en souffrancela coïncidence de leur sortie en librairie. Au delà des causes des douleurs et de leur nature, ce qui différencie les deux récits de ces corps souffrants est sans doute la manière dont chaque protagoniste s’en empare, ou non.

Le journaliste Philippe Lançon, grièvement blessé lors de l’attentat de Charlie Hebdo, décrit avec une étonnante authenticité et un réalisme sans concession le long enchainement de maux, de soins, de réparations et d’infortunes dans lequel l’ont embarqué ces blessures hors norme. L’écrivain Edouard Louis, en renouant avec son père, rencontre un homme fracassé par la vie dont il livre un portrait pudique en même temps qu’un réquisitoire contre les conditions sociales qui l’ont mené à cette dégradation.

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Démesure

Les hasards d’un voyage aux confins de l’Arabie m’ont donné l’occasion de faire escale à Dubaï et d’une brève, mais néanmoins intense, visite de cette métropole qui présente tous les signes de la démesure. Il n’en fallait pas moins pour interpeller la psychanalyste qui s’assoupissait au sein de la voyageuse.

Démesure – © MPSD

Dubaï, destination de rêve pour certains, vaste terrain de commerce et d’affaires pour d’autres, incrédulité pour le psy qui ne peut s’empêcher de s’interroger sur le sens de ce Disneyland gigantesque, et sur l’âme de ceux qui l’habitent.

Ce royaume du paraître et du consommable, véritable temple dédié au narcissisme de masse, serait conçu pour le bonheur, la satisfaction de tous les manques. Ici, dans des centres commerciaux géants où sont réunies toutes les marques du monde, tout peut être acheté, consommé.

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Du silence

Chers lectrices, chers lecteurs,

Nous vous souhaitons une très bonne année.

Notre premier article de 2018 est dans la continuité des questionnements qui nous animent et qui ont présidé à la création de ce blog.

Espérant que vous continuerez à nous lire et nous faire connaître,

En vous remerciant pour votre fidélité,

Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard 

Du Silence

Se taire n’est pas toujours opportun : en matière de silences, il en est de salutaires et constructifs, et d’autres, au contraire, accablants, destructeurs, voire meurtriers.

Ne pas dire la réalité de faits à ceux qui sont concernés, voire les cacher, délibérément ou non, ou bien les travestir, a toujours des effets négatifs.

C’est ce que montre le remarquable film documentaire d’Eric Caravaca « Carré 35 ». L’auteur s’y livre à une enquête personnelle sur un « secret de famille », celui de la disparition d’une sœur ainée morte en bas âge. La force de son propos est de ne jamais dériver du côté du voyeurisme ou de l’étalage d’une affaire privée, mais de le rapprocher sans cesse de son contexte historique et social, lequel fait contrepoint et nous concerne tout un chacun.

Carré 35 - Pyramide Films
Carré 35 – Pyramide Films

L’absence de mots et d’images sur un évènement, aussi bien que sa représentation selon des propos édulcorés ou déformés, n’empêchent pas l’existence de l’événement. En revanche elles empêchent la pensée de se déployer car elle reste ligotée dans des affects dont la nature et l’origine sont impossibles à déceler. Parfois il suffit d’une émotion inexplicable, survenant à l’improviste, pour qu’un coin du voile s’entrebâille sur une autre vérité que celle qui nous était cachée.

Ainsi dans le film d’Eric Caravaca, le spectateur est convié

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