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Un Psy dans la ville
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La « magie lente »

Cette magie lente[1] est une pièce de théâtre de Denis Lachaud, et son titre aurait été inspiré à l’auteur par une phrase de Freud « la psychanalyse est une magie lente ». De psychanalyse, il est en effet question pendant l’heure et quelques minutes que dure le spectacle, et dans cet intervalle qui ne contiendrait au mieux que deux séances se déroule en accéléré l’essentiel d’une cure.

Au festival d’Avignon, dans la touffeur de juillet, la pièce faisait salle comble et l’on se demande ce qui a poussé le public à venir entendre les mots crus, la violence d’un propos hors norme, un texte sans concession. Est-ce la fascination qu’exerce encore la psychanalyse, ou bien l’actualité intemporelle d’une histoire de viol d’enfant, ou encore la performance d’un comédien[2] qui semble à chaque minute jouer sa propre peau ? Sans doute tout cela à la fois.

Le théâtre ne fait pas de cadeau, il dit la vie, il est le reflet de la vie, il est la vie elle-même, à cet endroit la psychanalyse le rejoindrait. La cure analytique comme le théâtre se jouent dans la langue de la vie, avec les mots de tous les jours, ceux-ci pouvant être les plus osés, les plus crus, les plus audacieux. Et ils délivrent.

Seul en scène, Benoit Giros assène ces mots qui délivrent le personnage du carcan dans lequel son histoire l’a maintenu prisonnier. L’homme blessé et meurtri du fait d’un viol répété subi pendant son enfance, est tout à fait présent sous nos yeux, incarné par le comédien, par sa gestuelle contenue reflétant l’étroitesse que le traumatisme impose au corps.

Les viols d’enfance, les abus physiques, sexuels ou non, sur les enfants, sont des fardeaux qui pèsent sur des vies entières. C’est ce que nous raconte La Magie lente. Mais elle ne nous dit pas que cela, elle nous parle aussi de la folie, celle que l’on s’invente pour échapper à un réel insoutenable. Le personnage de la pièce s’est réfugié dans la folie, laquelle lui a été confirmée par le diagnostic rapide et facile d’un psychiatre pressé. Ne pas prendre le temps d’écouter, ne répondre qu’à la demande explicite, ne pas entendre celle qui est implicitement formulée, et le tour est joué, le temps s’immobilise, le traumatisme s’enkyste.

Puis un jour quelque chose se passe qui le conduit chez un autre psychiatre, psychanalyste de surcroit. Alors commence le chemin pour sortir de l’idée de la folie.

Les mots, au théâtre comme dans la vie, ont ce pouvoir de détisser le filet des fantasmes et des pensées folles. Mais ils requièrent du temps, beaucoup de temps. Le temps de les trouver, les laisser se former, puis les dire.

Bien sûr le temps d’une psychanalyse est long ; pour que se déforme ce qui s’est formé il y a longtemps et dont la forme s’est maintenue au long des années, il faut du temps. Elle agit lentement grâce aux mots que l’on peut dire parce que quelqu’un les écoute et les entend. Le titre de la pièce est un rappel de cette temporalité.

Les mots sont magiques ; leurs effets, lorsqu’ils sont dits et entendus, sont magiques, en ce sens la psychanalyse est une magie. Comme le théâtre : en alliant les mots et les gestes pour dire l’histoire d’une vie, il a le pouvoir de nous émouvoir, nous faire vibrer, voire nous perturber, c’est là toute sa magie.

Marie-pierre Sicard Devillard

 

[1] Denis Lachaud – La Magie lente – Actes Sud-Papiers – mars 2018

[2] Benoit Giros – La Magie lente

cure analytique, folie, parole, violence

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