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Un Psy dans la ville
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Ordre naturel ?

La question revient sans cesse, presque obsédante, toujours sans réponse : pourquoi, dans nos sociétés, et dans la majorité des civilisations humaines, les femmes sont-elles dominées par les hommes ? Comment s’expliquer, comprendre, que les êtres humains de sexe masculin ont pris possession et contrôle des êtres humains de sexe féminin ? L’expliquer par la différence de force physique ne nous satisfera qu’un instant. Porter, mettre au monde, et élever les enfants, voilà sans doute un modèle d’explication à la sédentarité et au confinement des femmes, mais qui ne justifie pas la domination et la violence dont elles pâtissent depuis des millénaires. Fallait-il les contraindre par la force à la procréation ? Peut-être, car, pendant des millénaires, grossesse et accouchement étaient dangereux pour les femmes. Si elles l’avaient pu, on imagine que, telles les Amazones, elles s’y seraient volontiers soustraites, au risque d’une extinction de la race humaine … Contraindre les femmes au confinement, à la sédentarité, voire les prendre de force pour assurer la procréation, est peut-être la seule façon que l’humanité a inventé pour ne pas disparaitre.

Dans certains lieux, quelques sociétés se sont développées selon un mode matrilinéaire dans lequel les hommes sont intégrés et non dominés, à l’inverse des sociétés patriarcales. Dans ces sociétés, l’égocentrisme, le narcissisme, s’effacent au profit du collectif.

Mais que vient faire la psychanalyse dans cette réflexion ? Nous nous demandons si la psychanalyse, inventée à la fin du XIX° siècle, période la plus patriarcale qui soit dans les sociétés occidentales, n’a pu qu’entériner un état de fait anthropologique. Penser la vie sexuelle selon le primat du phallus, symbole malheureusement masculin ; construire les modes d’identifications en référence à la figure d’Œdipe et sa nécessaire castration masculine ; énoncer que les femmes sont incapables de sublimation, c’est-à-dire de renoncement à une vie pulsionnelle sexuelle pour investir la créativité : tous ces énoncés ne sont que postulats. Car un siècle plus tard, les femmes créent, participent à la vie sociale, culturelle, politique, contredisant ainsi la théorie freudienne quant à la participation des femmes au travail de civilisation.

Même si Freud a pu entendre la souffrance de certaines femmes, et prendre appui sur cette parole timidement libérée pour élaborer sa théorie, il n’a pu se résoudre à envisager que la plainte d’une de ces jeunes filles, Dora, était fondée sur un acte réel d’attouchements sexuels par un copain du père dans une obscure arrière-boutique. Non, il s’en est tenu à l’idée d’un fantasme et d’un désir de jeune fille pour un homme symbolisant son propre père. C’était une avancée certaine en matière de prise en compte de la parole des femmes, mais aujourd’hui un homme d’âge mur ne peut trousser une jeune fille sans se savoir hors la loi. Nous sommes dans l’après me too.

Cependant, l’ordre dominateur masculin a la vie dure. Le viol reste une arme de guerre, comme au temps de l’enlèvement des Sabines ou de la guerre de Troie : dans la guerre russo-ukrainienne, les soldats russes violent avec l’accord de leur hiérarchie militaire, car en contraignant les femmes à des sévices sexuels c’est l’anéantissement de la démocratie qui est visé et le viol est utilisé comme arme stratégique par l’envahisseur. 

Et si les hommes aussi souffraient de cette organisation sociale déséquilibrée ! Et peut-être souffrir d’une souffrance non reconnue, non éprouvée. On nous a toujours fait croire, à nous femmes, comme aux hommes, que l’ordre naturel était ainsi. Et s’il y avait d’autres lectures ? A l’instar de celle que le metteur en scène Stéphane Braunschweig a récemment faite de pièce de Racine, Andromaque. On avait appris, lors de nos lointains cours de français, qu’Andromaque était une pièce sur la passion amoureuse contrariée : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector mort à la guerre de Troie. Mais Andromaque est prisonnière, autant lire, avec nos yeux du XXI° siècle, que c’est une captive, une femme violée ! Comment pourrait-elle aimer son violeur ? Et Pyrrhus, et Oreste, au retour de cette guerre effroyable, sont vus par les yeux du metteur en scène comme des victimes de la guerre, traumatisés. Quand, sur la scène de l’Odéon, Pyrrhus fait le récit de sa guerre, sa voix se brise, son récit se délite, la souffrance fait son apparition…

Après tout, Freud aussi a élaboré la part la plus intéressante de la théorie psychanalytique après une guerre effroyable, qui a laissé un nombre effroyable de jeunes hommes traumatisés. C’est à nous aujourd’hui d’aller plus loin, de penser la souffrance des hommes, et d’inventer un nouvel ordre du monde.

Marie-pierre Sicard Devillard

féminin, femme

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