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Un Psy dans la ville
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Un corps inhabité

Notre corps est notre lieu de résidence … terrestre.

Dans la représentation dualiste de la vie humaine, la personne est séparée en deux parties : le corps, et l’esprit. L’essentiel est l’esprit, le corps n’étant qu’un lieu de passage. Dans la religion chrétienne, adossée à ce principe dualiste, la vie sur terre est considérée comme une transition au cours de

corps
René Magritte – The Pilgrim

laquelle le corps humain souffre en attendant la mort, laquelle contient la promesse de rencontrer un idéal. La vraie vie serait ailleurs, dans un au-delà beau et parfait à l’image de la représentation divine.

L’esprit de l’homme européen, judéo chrétien, est fortement structuré par la force de cette conception de la vie. Bien que l’idéal divin soit devenu caduc, et que la pratique religieuse se soit considérablement affaiblie, il est probable qu’un modèle idéal, issu du modèle divin, continue de structurer nos perceptions, de nous mettre en tension. Or la place de ce modèle, jadis extérieure, voire extra-extérieure, a basculé en interne, l’idéal est en soi. Ainsi, chirurgie esthétique, diététique, pratiques corporelles seraient les formes modernes de rédemption dans la souffrance ou la discipline de soi, comme si le corps devenait un nouvel objet de religion, en vue d’atteindre une représentation idéalisée de lui-même.

Le corps humain aux prises avec des impératifs de représentations sociales court le risque de n’être qu’un support de tourments. Il souffre, non plus pour le salut de son âme et pour approcher la transcendance divine, mais pour se rapprocher de modèles de substitution, voire de son idéal interne, dans une sorte de transcendance de lui-même. A poursuivre un tel objectif le corps humain deviendrait une chose possédée qui doit être façonnée, un objet à calibrer pour répondre aux standards idéaux.

Alors qu’il est tout sauf une chose, justement ! Le corps humain est à envisager d’abord comme un lieu dont l’individu prend possession au fil de sa vie afin de l’incarner, l’habiter dans toute sa singularité de sujet. Sinon il ne serait plus qu’une sorte de no man’s land, dont l’habitant est plongé dans la plus grande des solitudes, celle de vivre dans un corps « inhabité ».

Les nombreuses propositions de pratiques corporelles, qu’elles soient importées de l’orient, ou inventées par l’occident, tentent de répondre à l’appel des corps qui souffrent. Reprendre contact avec les sensations, les perceptions, les émotions, est un moyen de réapprendre à habiter le corps que l’on occupe, à condition d’échapper au piège de la consommation de techniques.

La parole est un autre moyen de réappropriation du corps, et lorsqu’elle est déployée au long cours, dans une cure analytique, ou une psychothérapie, les effets en sont durables. Pourquoi ?

Trop souvent la psychanalyse est assimilée à une démarche de l’esprit qui laisserait le corps à sa porte, et rejoindrait par là notre conception millénaire d’une vie sous l’égide du dualisme. Mais que serait une analyse sans la présence du corps de l’analysant ? elle n’aurait pas lieu, car sans un corps pour dire, il n’y a ni mots, ni paroles, ni travail psychique.

Aussi le psychanalyste est-il attentif à tous les signes corporels qui se manifestent durant les séances, parce qu’il y a là aussi des choses à « entendre », à percevoir. Il faudra cette forme complète de relation avec le psychanalyste, corps et esprit, une sorte de corps à corps par lequel le patient peut réapprendre à se sentir pleinement vivant dans son corps terrestre. Et réapprendre ainsi à être le sujet de sa propre vie.

Marie-pierre Sicard Devillard

corps, patient, souffrance

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