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Un Psy dans la ville
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Changer de peau

La chirurgie plastique ou esthétique est thérapeutique lorsqu’elle répond à une demande de réparation de malformations innées ou de déformations accidentelles, invalidantes voire handicapantes. Elle vise alors à réparer un être abîmé, à le soigner : elle est « réparatrice ».

extrait de « Il neige », triptyque, 2013
In Hybrid Body

En revanche, il n’est pas question de soin dans les actes qui visent à modifier de façon irrémédiable le corps. Les demandes d’injections de botox, liposuccion, augmentations mammaires, lipoffilling, rhino plastie, etc. sont en augmentation constante et particulièrement chez les moins de trente ans. De thérapeutique, la chirurgie plastique devient transformatrice. Il n’est pas question de mal-être ou de « complexe » que l’on tenterait, dans un acte illusoire, de lever. Le recours à la chirurgie s’inscrit désormais dans une logique consumériste tout à fait décomplexée : il devient banal de s’acheter une paire de fesses ou de seins comme autant d’options ou d’extensions qui configurent un ordinateur, une voiture ou un robot ménager, de disparaitre comme sujet dans le reflet d’un corps objet.

L’appétence et l’acceptation sociale et médicale pour ces transformations du corps, leur banalisation qui n’en font plus l’indicateur d’un mal être individuel révèlent sans doute quelque chose des coordonnées de l’équilibre psychique de l’homme contemporain. Comment ne pas en effet établir un parallèle avec l’avènement de la toute puissance de l’objet et de l’avoir qui, dans la folle logique de notre société de consommation exponentielle, écrasent l’être et le sens des actes ? Les logiques marketing  s’immiscent peu à peu jusqu’au corps des hommes, prenant le pas sur ce qu’ils peuvent dire, faire, être et venant installer un mode d’être au monde où l’image, ce qui se voit écrase tout ce qui ne se voit pas. L’image fascine ; elle est le lieu où peu à peu, se cristallise l’identité et la conscience de soi.

Car occulter la dimension psychique d’une intervention sur le corps, et prendre l’expression « changer de peau » au pied de la lettre revient à limiter le « soi » à l’image perçue dans le miroir. Cette image sert le socle de la représentation que chacun a de lui-même. Mais elle n’en constitue pas le tout : la conscience de soi ne se limite pas à la matérialité du corps. Elle est faite de nos pensées, de nos émotions et sensations, de nos liens familiaux et sociaux, de notre histoire et notre culture…  et se construit également sur ce qui nous échappe : nos peurs et nos angoisses, le mystère de la création qui détermine notre couleur et notre type de peau, de cheveux, de morphologie, nos forces et nos fragilités physiologiques : le mystère de nos limites et de notre finitude.

Ainsi, lorsque nous quittons des yeux notre reflet dans le miroir, nous conservons un sentiment d’existence, et la conscience de notre être est un équilibre complexe qui s’établit au cœur de ce que l’on peut voir et de ce qui ne se voit pas mais que l’on se représente. Mais le pouvoir de l’image aujourd’hui semble réduire la représentation qu’a l’homme de lui-même à son sens le plus littéral, celui de la matérialité du corps. Le développement des identités virtuelles à travers nos multiples profils Facebook, selfies, instagram et autres Snapchat, procèdent de ce même mouvement. Mais les interventions sur le corps réel touchent un point plus abouti encore en venant matérialiser la disparition du sujet. Le cogito de Descartes « je pense donc je suis » (un être en mouvement, une dynamique, une évolution) disparait  au profit d’une maxime qui pourrait être « moi corps suis », façon de figer l’être dans une matérialité qui le colle au corps et écrase le psychique, efface le doute et fait disparaitre tout ce qui relève de l’énigme de la vie, de la réalité immatérielle de l’existence : tout ce qui ne se voit pas mais se représente.

Sandra Hueber

corps, image, souffrance, sujet

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