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Un Psy dans la ville
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Pas de recette pour se connaître

A l’occasion du Salon du livre, qui a fermé récemment ses portes, une enquête sur la lecture en France, et sur les achats de livres par catégories a mis en évidence une forte progression des ventes d’ouvrages de développement personnel et de psychologie. Cette progression nous interroge.

L’étude du sociologue Nicolas Marquis[1] sur les lecteurs de livres de développement personnel est intéressante à plus d’un titre. En deça de la simplicité des propos tenus dans ces ouvrages, ce qui accroche le lecteur est qu’ils lui parlent de lui : tous se reconnaissent, chacun peut puiser des pistes pour lui-même et se dire « c’est tout à fait moi », « cela me correspond tout à fait ». Etre nommé par autrui, se reconnaitre dans un quelconque inventaire à la Prévert de symptômes et conmportements, présente sans aucun doute des aspects réconfortants en suggérant et assurant qu’à tel ou tel malaise, sentiment, affect, des réponses existent.

En outre ces livres prônent la responsablité de chacun, la possibilité de s’en sortir seul, se prendre en charge, dans une société où l’autonomie et l’individualisme sont des valeurs hautement prisées.

Cette étude nous apprend, ou nous confirme, que ces lecteurs ont tout à fait conscience à un moment clé de leur vie (un moment de rupture, de faille) qu’ils sont mus par des mécanismes inconscients. L’inconscient étant une notion parfaitement intégrée, ils admettent que quelque chose leur échappe ; et endossent la responsabilité de la souffrance mais pas de la situation qui leur procure cette souffrance. Ils ne cherchent pas à savoir pourquoi mais à savoir comment se sortir de leur embarras. Ils sont allergiques à la plainte qui n’est pas valorisée socialement.

Malgré la platitude confondante des conseils donnés dans ces livres, ils s’avèrent efficaces. Tous les lecteurs dont Nicolas Marquis a recueilli les témoignages disent « tel livre m’a sauvé la vie ». Et le chercheur note quelque chose de fondamental pour nous psychanalystes : « tous les livres de développement personnel, quelle que soit leur approche, ont en commun de présenter l’individu comme un être clivé. Ce clivage qui nous traverserait tous, nous le vivons au quotidien sans nous en rendre compte. On le retrouve dans la phrase « je ne m’écoute pas assez ». Le « je » et le « moi » ne renvoient pas aux mêmes entités. »

Les praticiens en développement personnel nomment ce « moi » caché : « l’enfant intérieur », « le quotient émotionnel » etc…

Et c’est là que les chemins du développement personnel et de la psychanalyse divergent.

Car il n’y a pas de réponse qui vaille pour tous. Le chemin de la psychanalyse que l’on emprunte lorsqu’on frappe à la porte d’un psychanalyste n’est pas obstrué par des certitudes de « calinothérapie » et n’a pas pour vocation d’adapter à tout prix le sujet au marché concurrentiel par une réassurance narcissique. La réassurance narcissique viendra, au cours de la cure analytique, par la connaissance intime de ce que l’on est et par l’acceptation du clivage entre le sujet et le langage. Le langage suppose d’accepter de perdre, car il n’est pas possible de dire « tout » ce que l’on est, mais il est possible, en revanche, de s’approcher au plus près de soi-même. Nos patients en général nous savent gré de ne pas les cataloguer, ni les nommer ceci ou cela, mais les laisser libres de se dire à eux-mêmes ce qu’ils sont.

Dans un environnement où la demande d’éfficience est toujours plus prégante, souffrir de ne pas « y arriver », de ne pas répondre à l’exigence d’efficacité, et de surcoit, s’en plaindre, est malvenu. Cependant la plainte, quand elle est l’expression d’un symptôme douloureux, s’atténuera et diparaitra d’elle-même une fois que ses causes en auront été visitées et revisitées. Une simple recette lue dans un livre, aussi sérieux soit-il, ne garantit pas de la faire disparaître, ni de résorber le symptôme douloureux et en guérir l’origine.

Le développement personnel est à la solde de notre société ultra libérale qui n’accepte pas le manque d’efficacité et d’efficience. Les faiblesses, les difficultés intérieures sont reconnues mais il est commandé aux sujets d’y mettre un terme au plus vite, ce qui relèverait d’une responsabilité opérationnelle. Les lecteurs d’ouvrages de développement personnel sont convaincus que la responsabilité d’agir et de « guérir » leur appartient de même que leur éventuelle culpabilité à ne pas résoudre par eux-mêmes leurs douleurs et difficultés.

Ils cherchent une réponse rapide, une brève « calinothérapie » donnée par des personnes à qui ils peuvent facilement s’identifier car elles leur disent une pseudo vérité sur eux-mêmes.

A l’inverse, la psychanalyse suppose du temps, car elle engage celui qui s’y aventure dans un mouvement de déconstruction de processus et de comportements dont la construction a nécessité plusieurs années. On ne défait pas en quelques clics ce que la vie a mis des années à bâtir. Cet investissement dans la durée est reproché à la psychanalyse à une époque où la célérité, l’impatience, sont de mise. Le psychanalyste est décrié, il a perdu la figure de celui qui est supposé savoir, il n’est plus seul sur le marché des réponses à la souffrance humaine. Mais n’est-ce pas là aussi son principal atout ?  Toute parole comme tout écrit de psy ne sont pas équivalents. Et le savoir sur l’inconscient qui n’est peut-être pas l’apanage du seul psychanalyste n’est pas non plus disponible sans filtre sur amazon. L’étude de la psyché suppose une étude justement ! et être psy une vériatble compétence, le fruit d’une longue et exigeante formation, reposant sur des savoirs que ne certifient pas toujours l’écriture d’un livre de psychologie ou de développement personnel.

Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard

 

 

 

[1] Nicolas Marquis – Du bien-être au marché du malaise. La société du développement personnel – PUF

 

 

cure analytique, développement personnel, inconscient, souffrance

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