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Un Psy dans la ville
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Pulsion de Mort

Dans l’article « Au-delà du principe de plaisir », paru en 1920, Freud s’emploie à montrer que, comme l’enseigne la biologie, la finalité de toute vie est sa mort et que ce qui occupe les vivants, les humains en particulier, est de tromper la mort, d’organiser la vie. De ce fait, au sein même du vivant se livre une bataille constante entre Eros et Thanatos, entre la pulsion de vie et la pulsion de mort.

Mais ce qui serait premier selon Freud, et où il a été extrêmement controversé, c’est cette force pulsionnelle visant notre anéantissement, contre laquelle nous oeuvrons sans cesse. La force de la vie serait une réaction à celle de la mort. La pulsion d’agressivité serait une expression de la pulsion de mort. Pourtant Françoise Dolto y voyait l’expression de la pulsion de vie, celle qui fait qu’on s’accroche, qu’on se bat et se débat, question de point de vue…

Si l’on regarde les choses sous l’angle purement freudien notre compréhension de nombre de phénomènes qui agitent les humains s’éclaire sous un autre jour. Que penser en effet de la guerre, de la destruction des ressources terrestres, de l’accroissement des inégalités sociales … si ce n’est comme la conséquence de notre propension à nous détruire.

La pulsion de mort ne s’exprime pas uniquement par la destructivité. En effet elle s’exprime aussi par le désir de tendre vers un état de neutralité totale, un état de « rien », revenir en quelque sorte au « non-vivant », un état caractérisé par l’inerte, l’abolition des tensions, tensions qui nous mettent en joie, mais également en peine. Bernard Maris, célèbre économiste, mort dans l’attentat de Charlie Hebdo, voyait dans le capitalisme l’expression de la pulsion de mort. «Ce désir d’équilibre qui appartient au capitalisme, toujours présent, mais toujours repoussé dans la croissance, n’est autre qu’une pulsion de mort. Détruire, puis se détruire et mourir constituent aussi l’esprit du capitalisme. Sur les marchés circulent des marchandises cristallisant le temps de travail des hommes, mais aussi de la souffrance, de la culpabilité et de la haine ».[1]

Comment interroger et comprendre la destructivité, cette « activité » humaine qui conduit vers l’anéantissement, et dont l’époque actuelle nous fait craindre l’accroissement. Cependant même s’il y a danger, et que nous sommes alertés sur le danger, nous poursuivons collectivement, embarqués collectivement vers notre perte. C’est ce qu’illustre avec un cynisme glaçant le film Don’t look up[2] mis en ligne le 24 décembre sur une célèbre plateforme de cinéma, en guise de cadeau de Noel bien encombrant. Ce que nous ne voulons pas voir, se transforme, dans cette fiction désopilante, en ce que nous ne devons pas voir, car la clairvoyance et la lucidité risquent bel et bien de nous empêcher de vivre. « Voir » serait remettre en cause les intérêts économiques et politiques qui sont les fondements de l’organisation de nos sociétés. La tendance à l’accumulation que le capitalisme a engendrée, le détournement de la technique au profit de cette tendance, peuvent entraîner l’humanité à sa perte.

Notre civilisation, construite sur l’illusion du progrès à l’infini et d’une infatigable pulsion de vie, est sans doute la première cause de notre cécité, car nous vivons avant tout pour repousser l’échéance de notre propre mort. Est-ce un piège ? Ou tout simplement la condition humaine.

L’humanité est capable du meilleur comme du pire, capable de s’auto-détruire comme d’inventer les moyens de prendre soin d’elle-même.

Béatrice Dulck & Marie-pierre Sicard Devillard

 

 

 

 

[1] Bernard Maris & Gilles Dostaler – Capitalisme et pulsion de mort – Albin Michel 2009

[2] Don’t Look Up : déni cosmique – De Adam McKay – sur Netflix

 

destructivité, pulsions, souffrance

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