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Un Psy dans la ville
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Fatigue

Nous sommes fatigués, nous sommes débordés, dépassés, exténués… Et pourtant, nous sommes actifs, nous faisons du sport, courons, nageons, sautons, nous surveillons notre alimentation, notre sommeil, avalons des compléments nutritifs, pratiquons les arts martiaux, le yoga et la méditation. Et nous sommes encore fatigués !

Mais que nous arrive-t-il donc ?

Sommes-nous seuls responsables de cet abattement ? car, enfin, avec toute l’énergie déployée pour le combattre, comment se fait-il qu’il ne fasse que croitre, et non se dissoudre ? Peut être déployons-nous trop d’énergie à répondre aux injonctions d’activités venant de toutes parts et à combattre les signes du temps.

Mais la fatigue à la fois physique et psychique qui se déploie chez nous-mêmes et nos contemporains serait bel et bien aussi un fait collectif et sociétal. A force de faire endosser la responsabilité de son bien-être au seul individu, dans une logique capitaliste et libérale, ce dernier craque de toutes parts. Progressivement écarté du collectif dans sa vie professionnelle, dans la désertion des engagements associatifs et politiques, dans la nucléarisation de la vie familiale et le développement de la vie virtuelle en réseaux sociaux, l’individu porte de plus en plus à lui seul l’obligation du bonheur et c’est cela qui le fatigue. La bonne santé contribue à la sensation de bien-être, de bonheur, mais le bonheur se trouve aussi dans les liens aux autres, dans les aventures collectives, les défis relevés à plusieurs, les projets…

Le capitalisme libéral n’a fait qu’engendrer de la déliaison, un démantèlement des liens au sein de groupes autrefois unis et solidaires, pour en arriver à une doctrine du « chacun pour soi » délétère.

On aurait pu croire que le développement des technologies et l’avènement du télétravail, en libérant du temps libre, allaient nous donner plus de temps de repos. Mais il n’en est rien car, si les corps ne sont plus mis à contribution comme au temps de la révolution industrielle, ils sont de plus en plus sollicités par des formes de management qui exigent un véritable don de soi et par l’omniconnexion qui rend incertaines les séparations entre les différentes temporalités de nos vies. Le temps libre est devenu un marché dont l’individu est le produit, sans cesse sollicité et son espace pour la vacance s’amenuise : nous sommes colonisés corps et esprit par des injonctions paradoxales : travailler plus ou travailler dans de mauvaises conditions, être en bonne santé (et c’est de notre responsabilité individuelle) et, en plus, être heureux.

Le capitalisme fonctionne sur ce mode de déséquilibre permanent. Pour perdurer il doit sans cesse faire de la place pour de nouveaux produits et on appelle cela la « destruction créatrice » ! soit une alternance de pertes et de créations, la destruction d’anciens équilibres et la création de nouveaux, et tant pis pour ceux qui ne suivent pas. Malgré les pertes sociales et humaines qu’il provoque, le système continue car il valorise toujours la nouveauté. Nous sommes bien loin de la créativité promue par les sages chinois qui philosophaient sur la nécessité du vide pour créer. Et comme nous l’écrivions dans notre précédent article la destruction est une émanation de la pulsion de mort. Ces injonctions paradoxales, cette course de vitesse vers les dernières créations censées nous rendre heureux ou en bonne santé, ne nous mènent qu’à empiler des objets pour cacher l’absence de sens, voire le néant. Voilà les paradoxes qu’engendre un libéralisme effréné qui ne laisse plus le temps de penser, de s’ennuyer, de regarder les fleurs pousser, de sentir le vent dans les feuillages, de se sentir simplement vivant.

Une autre façon de combattre le sentiment d’abattement et de vide est d’apprendre à se décentrer de soi-même pour sentir à nouveau l’appartenance à la collectivité humaine, revenir vers l’action collective, la vie associative, familiale, agir en tant que sujet. Le sujet n’est pas l’individu.

Même si la psychanalyse est née dans le même mouvement que le capitalisme et l’émergence de la primauté de l’individu, elle ne concoure pas à un individualisme forcené. Tout au contraire, elle permet au sujet débarrassé de ses névroses de se penser dans le monde et d’interagir avec lui.

Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard

souffrance, sujet

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