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Un Psy dans la ville
Unpsydanslaville

Mutisme

Voici presque trois mois qu’unpsydanslaville n’a publié aucun article. La fatigue évoquée en février serait-elle responsable de ce mutisme ? Nous n’en croyons rien, mais nous affecterions davantage la responsabilité de notre silence à l’espèce d’effroi qui nous a saisi collectivement à l’annonce de l’invasion de l’Ukraine par Poutine. Effroi redoublé par le risque de l’instauration d’un régime autoritaire en France si le parti d’extrême droite avait remporté l’élection présidentielle.

En attendant le verdict des urnes, dimanche 24 avril, nous avons retenu et notre souffle, et nos mots. La crainte de l’avènement d’un régime fasciste nous a mises comme en état de sidération, et dans un empêchement de penser, donc d’écrire. Car de ce qui pouvait nous arriver de grave, nous ne pouvions faire comme si de rien n’était. Et dans l’intimité de nos cabinets, nous avons partagé avec nos patients l’inquiétude, même si une part d’entre eux ne savaient rien de notre anxiété.

Le programme de l’extrême droite, dans sa volonté de « nettoyer » la France est fondé sur le déni de l’altérité, la haine de l’autre. Il est illusoire en ceci qu’il veut faire accroire que l’on pourrait ne vivre qu’entre soi, dans l’exclusivité du même que soi, sans métissage, sans alliance, sans rencontre. Programme dont les adversaires préviennent à juste titre qu’il conduirait au rétrécissement, car sans la rencontre avec l’autre, le différent, l’alter, alors la pensée s’appauvrit, la vie même s’étiole. Toute la place est faite à la pulsion de mort.

Ce programme est aussi privation de parole, laquelle nait et s’épanouit dans la rencontre avec l’autre, et laquelle est constitutive de liens. Peut-être que dans certains villages, certaines terres rurales, la souffrance de la perte des liens, l’absence de vie commune, et communale, sont des causes d’un vote majoritaire pour l’idéologie d’extrême droite. Avec la disparition progressive, mais néanmoins réelle, des fêtes de villages, du café sur la place de l’église, de l’épicerie, du bureau de poste, etc. en l’absence de lieux et de temps où se rencontrer et se parler, les liens sociaux se sont étiolés, la méfiance de l’autre s’est accentuée. Seuls les « mêmes » sont des interlocuteurs possibles, ceux qui ont les mêmes souffrances sociales, la fermeture d’usine, le chômage, l’impression de ne pas exister dans une société qui ne les reconnaitrait pas, la difficulté de boucler les fins de moi. La peur de l’autre serait d’autant plus présente que cet autre est perdu de vue, et d’oreille. L’autre est celui dont on pense qu’il possède ce que l’on n’a pas et qui en tire une fierté que l’on aurait perdue, cet autre perçu comme un gagneur, un premier de cordée.

Dans les lieux où l’on se parle, où l’on écoute l’autre et où l’autre nous écoute, un travail de maintien de la confiance, voire de réparation lorsqu’elle est perdue, est à l’œuvre. Ces lieux sont des lieux de convivialité, de socialité, de culture, mais aussi de soins, comme nos cabinets de psychanalyse. Y être revenues, au lendemain du maintien de la démocratie, nous a permis de nous remettre à l’unisson du soulagement qui faisait écho au notre chez ceux que nous écoutons.

Et la pensée de se remettre en mouvement, permettant de retisser les liens du collectif.

Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard

mutisme, parole, sideration

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