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Un Psy dans la ville
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Guerre et illusion

A l’heure de l’évènement littéraire que représente la publication de « Guerre » de Céline, texte retrouvé et mémoire d’une guerre que l’on a dit Grande et pensé dernière, une autre guerre nous menace. Pourquoi de nouveau une guerre, pourrait-on se dire ? Aurions-nous oublié qu’elle est inhérente à l’humanité, qu’elle l’occupe sans discontinuité ? Pendant des décennies elle a œuvré loin de notre univers occidentalo-centré et la voici qui revient en Europe, là, tout près.

Le monde occidental se croyait en paix pour toujours, à l’instar de celui qui a précédé la première guerre mondiale, période d’une grande richesse intellectuelle, technologique, artistique, économique. Le temps d’une guerre et d’une pandémie (la grippe espagnole), ce monde d’hier que décrivait Stephan Zweig, a disparu. Une autre pandémie, puis une guerre dont on imagine qu’elle ne fait que commencer, auront-elles raison de notre monde ?

En 1915, Freud écrivait : « Et voilà que la guerre, à laquelle nous ne voulions pas croire, fit éruption et apporta la … désillusion ». L’illusion est d’oublier que l’être humain est par essence ambivalent, il est bon ET mauvais, et il est soumis à des pulsions ambivalentes : celles de vie et celles de mort. Mais l’illusion est aussi indispensable et se révèle comme le ressort de la créativité. Freud était fondamentalement pessimiste sur la nature humaine et sa conception du monde s’en ressent. Quelques années après Freud, Winnicott, d’un tempérament plus optimiste, voit dans l’illusion un phénomène indispensable dans la construction d’un espace de créativité.

La chute de l’illusion nous confronte au réel de la guerre, à l’ambivalence fondamentale de l’être humain et à son agressivité première. Une fois les épreuves passées, nous aurons à reconstruire un espace d’illusion qui nous mette à distance d’un réel désespérant. Peut-être faut-il commencer d’ores et déjà cette reconstruction.

Freud s’est demandé, en particulier dans une lettre à Albert Einstein en septembre 1932 comment lutter contre la guerre. Dans la pensée freudienne c’est la culture qui s’oppose à la guerre, tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre.

Freud pensait-il vraiment qu’il n’y aurait plus aucune guerre sur le territoire européen ? Avons-nous vraiment cru, nous aussi, que nous en étions protégés ? Aurions-nous pêché par naïveté, pris dans une manifestation de l’hubris qui consisterait à penser que nous étions plus civilisés que les autres humains qui peuplent cette terre ?

Construire une société humaine en paix relève-t-il de l’illusion ? L’état normal de ladite société ne serait-il pas plutôt le désordre et la crise ? Cela conduirait les humains à travailler en permanence à maintenir les conditions d’une altérité possible malgré la conflictualité qu’elle recèle, à contenir la dimension pulsionnelle ambivalente de l’humain. 

Le processus de civilisation est aussi un processus de créativité. Il permet d’inventer des formes du vivre ensemble, comme la démocratie, le pacifisme, l’humanisme, toutes ces valeurs des Lumières, illusions nécessaires quand elles sont comprises comme telles.

Le pacifiste qui s’attache à une illusion qu’il prend pour le réel n’a plus d’autre recours que de s’enfuir tel le héros du « Sang noir » de Louis Guilloux, mais ceux qui travaillent à reconstruire et sauvegarder les liens et le collectif, sans aveuglement sur notre réalité ambivalente, portent l’espoir d’une humanité lucide sur sa nature et ses potentialités.

Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard

 

 

Freud, guerre, pulsions

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