Skip to main content
Un Psy dans la ville
Unpsydanslaville

Mots

Lors d’un récent entretien télévisé, réunissant journalistes et homme politique, nous avons pu entendre des mots claquant comme des coups de poings, des phrases fusant comme des flèches : voilà en matière de parole, ou de discussion, ce qui tend à envahir la scène verbale publique. De débat, ces joutes oratoires n’ont plus que le nom, au profit de l’hégémonie d’un discours lapidaire, d’un parler fort, dans lequel il s’agit avant tout de donner de la voix, de gagner la bataille du bruit et d’avoir le dernier mot.

Débat – Théatre de l’Odéon – Mai 1968

Si encore il était question de bons mots, ou de mots d’esprits… mais non, de ces mots irrévérencieux, de ces mots creux, l’humour est trop souvent absent et ces batailles de mots se teintent d’une noirceur mortifère.

Le parler creux de certaines personnes publiques et médiatiques va de pair avec l’appauvrissement de la langue que nous avons déjà évoqué ici (Penser, Dire, Ecrire-Février 2017). Ces adeptes du slogan, du mot facile, ne prennent plus en considération leurs interlocuteurs qu’ils abrutissent en leur assénant des discours vides de sens. Les jugeraient-ils incapables de déchiffrer une idée ou de comprendre une problématique pour se dispenser ainsi de discours construits et élaborés ?

Que l’espace public se vide ainsi de la parole pleine, adossée à une réflexion et une pensée nous interroge. Prendre la peine d’écouter, de lire, de s’enrichir des mots des autres permet de construire à son tour un discours singulier et constructif. Le « dernier mot » ou le slogan ne le permettent pas car ils nous condamnent à la répétition et au vide.

Ne resterait-il que l’espace privé pour entendre des mots pris dans des phrases, lesquelles déploient une pensée, nourrie de confrontations, d’interactions et de prise en compte des mots des autres ? C’est à ce compte là, celui de l’échange fondé sur l’écoute de l’interlocuteur, de l’effort pour entendre et accueillir la pensée de l’autre, que se tissent les liens qui nous permettent de vivre ensemble. Les faux débats à coup de petites phrases, en nous incitant à des polémiques stériles, ont des effet de clivage et risquent de nous entrainer vers la rupture de ces liens.

La communauté humaine et la démocratie requièrent que l’on prenne soin d’elles : c’est-à-dire que l’on veille à les maintenir et les entretenir, ce qui passe par la qualité des échanges et des paroles. Cela équivaut à prendre également soin de nous-mêmes qui en sommes partie prenante, nous-mêmes et tous les autres à côté. Tâche un tant soit peu laborieuse, mais nécessaire, car elle est une condition de pérennité. En nous parlant et nous écoutant, nous remettons en route des pensées singulières et la possibilité d’une pensée collective, qui tisse la trame du vivre ensemble. C’est aussi une manière de remettre en mouvement la pensée, gage de vitalité, et ainsi d’assurer la continuité et la transmission des valeurs démocratiques.

Marie-pierre Sicard Devillard

langage, parole

Comments (1)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *