L’intelligence artificielle peut-elle être humaine ?
Les progrès importants de l’Intelligence Artificielle (IA) en matière de langage mettent les chercheurs de tous les domaines en émoi. Les philosophes se saisissent des questions existentielles, métaphysiques et linguistiques posées par l’IA pour en faire, enfin pourrait-on dire, un objet philosophique. Et la psychanalyse dans tout ça ? Peut-elle, ou doit-elle, se saisir elle aussi de la question ? En quoi l’IA interroge-t-elle les psychanalystes ?
Elle les interroge d’un point de vue existentiel.
Le point de départ des informaticiens de la Silicon Valley est de reproduire l’intelligence humaine sous l’angle de la cognition, et de la dépasser ; de permettre à des machines de dépasser les capacités cognitives des cerveaux humains. Dans la poursuite de cet objectif, ils ont rapidement évacué la question de la conscience pour ne se concentrer que sur la progression technique. Très récemment, un vent d’inquiétude a soufflé lorsque les observateurs, et les concepteurs eux-mêmes, ont réalisé que la machine avait réussi à acquérir des compétences non prévues sans qu’ils sachent comment et pourquoi… L’imagination fait le reste..
L’IA est une machine apprenante… mais pour l’instant elle n’apprend que ce qui est dans ses données, les big data, qui sont son carburant, lequel carburant est alimenté par des personnes réelles. Cela peut être très bénéfique lorsqu’il s’agit de données de médicales partagées par des milliers de praticiens…confirmant la vieille sentence : on est plus intelligents à plusieurs que seul…
Mais l’être humain ne se résume pas à ses capacités cognitives. Nous pourrons sans doute continuer à fabriquer des machines qui iront puiser dans nos connaissances, toutes nos connaissances emmagasinées dans les data, mais nous ne pourrons guère reproduire par des algorithmes ce qui fait l’essence humaine : la capacité de se demander « pourquoi ? » et non « comment ? ». Lorsque Newton a vu une pomme tombée sur le sol, il s’est d’abord demandé, pourquoi ? puis, ensuite, comment ?
La créativité de l’homme vient des questions qu’il se pose parce qu’il se sait mortel, qu’il sait que son existence a une fin et il se demande pourquoi ? Il a la capacité de s’émerveiller, de créer, il compose avec l’amour et la haine, construit sa civilisation sur la base de cette opposition, raison de la survie de son espèce.Les machines font illusion, elles deviennent dangereuses lorsqu’elles nous font prendre cette illusion pour une vérité. Elles sont faites non d’un corps vivant qui se sait mortel, mais d’un amas de silicone, d’acier, de câbles. Se savoir mortel, c’est d’abord se savoir vivant et à ce titre devoir faire face à la condition d’être pensant… la pensée de la mort permet d’être créatif, d’être innovant, d’être ému par le beau et le bien… d’être en liens d’affection avec les autres ou en liens haineux, mais d’être en lien… Cette dernière capacité humaine d’être en lien peut être trompée par la machine qui imitera les émotions, là est l’illusion dangereuse. Laquelle machine ne se « sentira » jamais mortelle, n’aura jamais la conscience de sa finitude, elle ne pourra que la singer dans la mesure où cette disposition lui aura été programmée par des informaticiens humains.
Si la machine peut imiter le lien affectif avec un humain, elle ne peut faire que ce lien soit pérenne, et surtout satisfaisant pour la femme ou l’homme que je suis, car ce lien ne sera jamais incarné dans un corps de chair. Et nous avons besoin de nos corps et des corps des autres pour vivre des liens et faire société.
Nous avons, parce que nous sommes avant tout humaines, et aussi psychanalystes, une représentation de l’homme parlant et pensant bien éloignée de celle d’une pensée réduite à des circuits artificiellement neuronaux qui s’interconnectent…
L’humanité de la femme et de l’homme ne se réduit pas à une somme de connaissances mais bien plutôt à ce qu’ils ne connaissent pas, à leur capacité d’introspection, à leurs doutes, à leurs malaises qui proviennent de la conscience d’être mortel…