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Un Psy dans la ville
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Tweeter n’est pas parler

Témoigner d’actes de harcèlement moral, de violence sexuelle, d’abus de pouvoir, sur un réseau social a le grand mérite de mettre en lumière l’existence de ces pratiques intolérables, de permettre de prendre conscience de la réalité du phénomène et d’amorcer un processus de changement.

Tweeter n'est pas parler
Tweeter

Cependant, rendre compte en 160 caractères maximum d’actes et d’évènements dont la nature est pour le moins traumatique ne saurait suffire à remplir la fonction cathartique qui est justement de lever le traumatisme. Il n’est pas certain que la parole soit ainsi libérée.

La parole délie, elle a une fonction d’élaboration, elle nous rend à notre subjectivité et notre statut de sujet. Mais cela n’est vrai que lorsqu’il s’agit d’une parole adressée à un autre, nominalement, car parler suppose d’être entendu en retour. Or, les mots jetés dans l’anonymat du réseau social n’étant pas adressés, au sens où ils ne sont pas dits à une personne en particulier, ne pourront être accueillis subjectivement. Ainsi les auteurs de ces messages douloureux courent le risque de ne pas être entendus.

Et pourquoi faudrait-il en passer par des signifiants tels « balance ton porc » pour dire ces choses douloureuses ? La grossièreté de la formule semble se faire l’écho de la honte ressentie lorsqu’il il y a agression sexuelle, et ainsi nous maintenir dans du même, de l’identique, sans possibilité de prendre la distance nécessaire. « Balancer » n’est pas dire. Pire, le terme renvoie à des pratiques de délation, des vengeances dont on peut douter des réels bienfaits. Alors que faire le récit de ce que l’on a vécu à quelqu’un qui se prête à écouter et entendre a des effets bénéfiques.

Le récit au long cours -qui peut également être un travail d’écriture- permet d’entrer dans un processus de distanciation et de guérison, la parole adressée répare, elle fait retrouver dignité et intégrité. En cas de traversée d’évènements douloureux, ce type de démarche est incontournable ; même ressentie comme une épreuve, elle n’en demeure pas moins vitale. Car, en parlant, en élaborant, en se confrontant, les humains constituent de façon irremplaçable leur expérience de la vie.

Puisse ce flot de « tweet » nous conduire sur la voie de la parole et de l’élaboration, conditions uniques d’un véritable processus de changement social, dans lequel les femmes et les hommes prendront leur place et leur responsabilité de sujets.

Marie-pierre Sicard Devillard

 

parole, récit, souffrance

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