Tweeter n’est pas parler
Témoigner d’actes de harcèlement moral, de violence sexuelle, d’abus de pouvoir, sur un réseau social a le grand mérite de mettre en lumière l’existence de ces pratiques intolérables, de permettre de prendre conscience de la réalité du phénomène et d’amorcer un processus de changement.
Cependant, rendre compte en 160 caractères maximum d’actes et d’évènements dont la nature est pour le moins traumatique ne saurait suffire à remplir la fonction cathartique qui est justement de lever le traumatisme. Il n’est pas certain que la parole soit ainsi libérée.
La parole délie, elle a une fonction d’élaboration, elle nous rend à notre subjectivité et notre statut de sujet. Mais cela n’est vrai que lorsqu’il s’agit d’une parole adressée à un autre, nominalement, car parler suppose d’être entendu en retour. Or, les mots jetés dans l’anonymat du réseau social n’étant pas adressés, au sens où ils ne sont pas dits à une personne en particulier, ne pourront être accueillis subjectivement. Ainsi les auteurs de ces messages douloureux courent le risque de ne pas être entendus.
Et pourquoi faudrait-il en passer par des signifiants tels « balance ton porc » pour dire ces choses douloureuses ? La grossièreté de la formule semble se faire l’écho de la honte ressentie lorsqu’il il y a agression sexuelle, et ainsi nous maintenir dans du même, de l’identique, sans possibilité de prendre la distance nécessaire. « Balancer » n’est pas dire. Pire, le terme renvoie à des pratiques de délation, des vengeances dont on peut douter des réels bienfaits. Alors que faire le récit de ce que l’on a vécu à quelqu’un qui se prête à écouter et entendre a des effets bénéfiques.
Le récit au long cours -qui peut également être un travail d’écriture- permet d’entrer dans un processus de distanciation et de guérison, la parole adressée répare, elle fait retrouver dignité et intégrité. En cas de traversée d’évènements douloureux, ce type de démarche est incontournable ; même ressentie comme une épreuve, elle n’en demeure pas moins vitale. Car, en parlant, en élaborant, en se confrontant, les humains constituent de façon irremplaçable leur expérience de la vie.
Puisse ce flot de « tweet » nous conduire sur la voie de la parole et de l’élaboration, conditions uniques d’un véritable processus de changement social, dans lequel les femmes et les hommes prendront leur place et leur responsabilité de sujets.
pilatre-jacquin élisabeth
tout à fait en phase avec ce qui est développé dans cet article !!
Christine Lefèvre
J’adhère également à la justesse, la pertinence de ces propos, en particulier
l’analyse de ce « balance ton porc » qui me met un peu mal à l’aise.
Merci Marie-Pierre
BLATRY Joyce
je ne suis ni psychologue ni psychanalyste mais j’ai été victime. Ma chance a été d’être en analyse à ce moment-là. J’ai immédiatement pu parler et être entendue. Cela m’a évité de tomber dans la haine.
Vider son sac avec vulgarité ne peut pas aider, c’est s’abaisser au même niveau que le harceleur ou le violeur et j’imagine que la chute est dure lorsqu’on se retrouve seule avec sa dignité bien écorchée et une blessure toujours présente.
merci pour votre analyse, si juste.
Chantal Masquelier-Savatier
Merci d’ouvrir ce débat d’une autre manière que celle qui se trimballe dans les réseaux sociaux. En effet telle que traitée dans les médias, elle renforce un clivage homme dominant/femme vulnérable, méchant homme/gentille femme, bourreau/victime qui ne fait qu’alimenter la guerre au désavantage du genre féminim. Il me semble que les choses sont plus complexes et que la limite entre la drague et le harcèlement est bien mince. Mon expérience est qu’il est bien agréable de se faire draguer et aussi de se faire désirer… Où est le plaisir ? Le plaisir de l’un nuit-il systématiquement au plaisir de l’autre ? J’ai apprécié la position de Christine Angot (dans une émission TV) qui se rebellait contre la plainte et la victimisation des femmes.
En même temps, même si « tweeter n’est pas parler », c’est une manière d’interpeller la collectivité. En effet cette question de l’abus est à prendre en compte dans l’évolution d’une dynamique sociale et culturelle. Regarder la dimension sociale sans se limiter à la dimension psychique et individuelle permet d’éviter le triple écueil de la plainte, de la diabolisation et de la victimisation.