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Un Psy dans la ville
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Splendeur et misère de la cool attitude

CastafioreNous ne sommes pas les premiers à le dire : la tyrannie du bonheur sévit. L’euphorie perpétuelle empêche les âmes de s’adonner à leur plaisir favori : l’égarement. La course aux objets de consommation, ou pour le dire moins poliment, la fringale de cool toys, empêche l’inclinaison mélancolique.

Le cool toy, qu’est-ce que c’est ? C’est tout ce qui rend la vie plus simple, plus sexy, plus sympa, et qui l’évide de sa substance complexe, souffrante, mortifiante. Des siècles de littérature romanesque sont ainsi court-circuités par quelques mots-clés sur une application, par un smiley sourire sur un réseau social, par un tweet laconique, voire lapidaire. Tout se passe comme si nos inconscients avaient délibérément opté pour une simplification du monde, dans un renoncement face à l’abysse de l’énigme humaine. – Allo, le monde ? Je me suis tapé douze ans d’analyse, je ne vais toujours pas mieux. Donc, aujourd’hui, exit ma psy mutique qui tripotait son collier de perles derrière moi ! Je veux de la TCC, de la bonne, de la vraie ! Je veux du conseil pour plus flipper le soir quand je rentre en scooter d’Argenteuil. Je veux du coaching pour apprendre à pas chialer comme une madeleine quand je vais au ciné voir le dernier Di Caprio. Et, dans l’idéal, je voudrais faire un gosse avant quarante ans si mon agenda book me le permet.

Or, le psychanalyste ne doit pas reculer devant le cool toy. Il ne doit ni se taire ni tripoter trois fois plus son collier de perles en attendant que ça passe. La psychanalyse peut aussi se prêter au jeu de la simplification sans avoir peur d’y laisser toutes ses plumes.

La question cruciale « Pourquoi est-ce que je souffre ? » a été supplantée par une autre, diablement plus radicale, « Pourquoi souffrir ? » C’est cette dernière question que le patient pose quand il demande benoîtement à son thérapeute : «  Dites, Docteur, combien de séances il faudra pour aller mieux ? ». Il confond alors sa visite chez le psychanalyste avec son cours de fitness pour perdre du poids avant l’été.

Mais plutôt que de s’évertuer à la jouer classique avec la sacro-sainte réponse : « Tout dépend ce qui se jouera dans les séances », pourquoi ne pas débusquer le cool toy ? Pourquoi ne pas le traquer avec le même cynisme, la même simplification outrancière qu’il s’évertue à faire régner ?

« Nul ne le sait car vous n’êtes pas au Club Med Gym et que vous allez mourir un jour », pourrait répondre le psychanalyste à son patient. Il colorerait peut-être alors suffisamment sa fonction, au fond inchangée mais bien plus sexy dans la forme. Il interrogerait l’abysse de l’existence humaine – la mort, la finitude, le manque, la folie, le deuil impossible de soi et des autres – tout en nouant un lien indéfectible au « cool world » dont il fait partie, lui aussi.

 

Joseph Agostini

Joseph Agostini est psychologue clinicien, psychanalyste et auteur de théâtre. Ses pièces, éditées chez Alna, ont été régulièrement jouées à Paris et Avignon, autour du mensonge, de la folie, du destin. Il a son cabinet privé à Clamart.

folie, mort, souffrance

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