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Un Psy dans la ville
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Parlécrire

Sommes-nous en train de perdre notre faculté de langage ?

Galets-mobiles DD (1)
Galets-mobiles_©_DenisDesailly

Le téléphone mobile, et particulièrement le Smartphone, s’est imposé en à peine plus d’une décennie comme un outil indispensable de notre quotidien. Nous voici affublés d’un outil qui vient comme une seconde identité, presque une prothèse tellement nous faisons corps avec. Et je m’interroge aujourd’hui sur l’évolution qu’il peut induire dans notre rapport à la parole.

Le nombre de textos échangés quotidiennement augmente proportionnellement au déclin du nombre de conversations téléphoniques ; et les applications de communication instantanées font florès. Ce sont des espaces d’une riche créativité qui ont vu se développer, le plus souvent sur le mode ludique, un nouveau vocabulaire, des inventions orthographiques, le tout ponctué d’émoticônes plus expressives les unes que les autres.

Mais c’est une erreur de penser qu’écrire à quelqu’un depuis un écran tactile revient à lui parler. On y écrit presque comme on parle, certes. La proximité physique du Smartphone, la façon dont il peut se placer dans le prolongement du corps participe à l’illusion que les messages qui en sortent sont des paroles. Or un téléphone reste un outil de communication à distance et il ne faudrait pas que celle-ci vienne remplacer la parole.

Car communiquer n’est pas parler, et écrire non plus.

Parler engage la voix, le corps, dans l’échange avec l’autre. Et en retour, écouter l’autre c’est percevoir ce qui transpire de sa chair lorsqu’il parle : sa voix, ses silences et suspensions marquent le rythme de son souffle, les nuances des intonations révèlent la subtilité de ses émotions, l’implicite. Parler dans un échange direct ouvre à l’imprévu, à l’immaitrisable, à l’inconnu de l’autre et de soi : ressentir des sensations, laisser s’échapper des émotions, des mots et lapsus.

Parler, c’est être là. Lorsqu’ils sont dits, les mots engagent parce qu’ils sont liés au corps. Ils s’inscrivent dans le corps et prennent un sens profond lié à qui les prononce. Désincarnés, ils risquent de perdre de leur valeur, de la valeur d’engagement, de leur sens.

Depuis Néandertal, l’homme crée des outils qui lui permettent de développer sa capacité à maîtriser son environnement, et à améliorer son quotidien. Avec nos prothèses 3 ou 4G, nous sommes augmentés de la capacité de « parlécrire » ; une activité de communication à distance à la frontière entre l’écrit et le parlé. Tchater ou échanger des textos sont une nouvelle forme de langage. Les échanges sont brefs, instantanés, et doivent l’être par principe. Parlécrire se construit sur le modèle de « l’échange d’information », sans grammaire ou presque, sans ponctuation, avec un vocabulaire restreint. Mais rien n’est dit !

Insidieusement, ces nouvelles formes d’échange pourraient venir supplanter la parole et cette évolution technologique venir appauvrir nos capacités au lieu de les augmenter : nous faire perdre ce qui nous caractérise et nous distingue le plus fondamentalement des espèces animales, notre faculté de parler, de dire, en interaction, et donc de penser.

Sandra Hueber

penser

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