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Un Psy dans la ville
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Schizo

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Pomme, orange, ou les deux ?

Parano, mytho, nympho, j’hallucine …. le langage courant pioche dans le vocabulaire de la psychiatrie pour illustrer,  plutôt sur le ton de la légèreté, comme avec un sourire, nos petits travers quotidiens et ceux de nos collègues, voisins, cousins. Ces termes sont couramment utilisés pour souligner une tendance, bien éloignée de la maladie mentale et qui ne porte pas à conséquence : celle avec laquelle nous composons, lucides et résolus à admettre que nous portons tous une part de « petite folie ».

Il est cependant un terme qui connait un tout autre destin : celui de schizophrénie. En même temps que le trouble psychiatrique a été médiatisé par quelques faits divers de malades devenus dangereux en phase aigüe de délire, phénomène pourtant si rare, l’association a été vite faite entre schizophrénie et dangerosité.

C’est un comble pour une pathologie qui se caractérise précisément par un dysfonctionnement profond des associations. Le schizophrène souffre de ce que son esprit (phrên) est fendu (schizo). Les diverses fonctions psychiques sont comme disloquées, ne tiennent plus ensemble, si bien qu’il manifeste de nombreuses incohérences tant affectives que relationnelles et comportementales. C’est une pathologie extrêmement complexe à envisager puisque le schizophrène perd le contact avec la réalité et que son rapport au monde est structurellement différent.

En même temps qu’il se médiatise, ce terme sort du registre psychiatrique pour intégrer le registre journalistique et subit un premier glissement sémantique puisqu’il n’en est retenu que l’idée de la discordance. L’adjectif « schizophrénique » s’utilise dans les médias pour caractériser un discours, une attitude ou un propos  qui révèle une contradiction, une antinomie ou un paradoxe.

Un deuxième glissement sémantique s’opère à partir de cette idée de contradiction : le terme schizophrène tout en restant attaché au fou dangereux, à ce qui fait peur, se referme dans l’imaginaire collectif sur l’image d’une personnalité double, dont l’illustration parfaite serait le célèbre personnage de Robert Louis Stevenson , Dr Jekyll et Mr Hyde.

Puis s’immisce un troisième rétrécissement sémantique qui aboutit à ce que schizophrène ou son diminutif « schizo » sont utilisés dans le langage courant pour signifier tout comportement ou discours qui comporte une ambivalence, une ambiguïté, une contradiction en conservant une connotation de ce qui est dangereux, ce dont il faudrait se protéger, rejeter. Comme si, à cet endroit, il n’y avait pas de travers possible (à l’inverse de l’emploi de « parano » ou « mytho »),  que l’ambiguïté et l’ambivalence n’avaient pas droit de cité.

Pourtant, les personnes que l’on aime sont parfois celles que nous détestons le plus, nos actes ne sont pas toujours en phase avec nos idéaux par exemple ;  les contradictions, l’ambivalence ne signent pas une maladie mentale mais révèlent les mystères et subtilités de l’âme humaine. Il n’est pas toujours très simple de composer avec nos dilemmes et nos contradictions qui souvent nous dépassent. Néanmoins, les rejeter en bloc comme des pensées dont il faudrait se protéger, se dégager ou se libérer serait une erreur d’appréciation quant à la richesse qu’ils renferment.

La contradiction ou l’ambiguïté qui coexistent en chacun de nous sont les témoins de la souplesse psychique, d’un espace de pensée indéterminé, non fixe dans lequel il peut toujours y avoir du « jeu ». Notre mode de pensée n’est pas binaire et l’entre-deux, l’incertain, l’ambigu sont les lieux d’un mouvement possible, d’un potentiel toujours là. C’est dans ces interstices de jeu que dans le processus analytique se créée, se compose et se recompose le « je » de celui qui parle.

Sandra Hueber

cure analytique, psychisme

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