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Un Psy dans la ville
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Mentir

Il y a deux façons de mentir : mentir par omission c’est-à-dire ne pas dire ce que l’on sait d’un fait qui concerne l’autre, et mentir par déformation, en déformant délibérément la réalité pour ne pas dire ce que l’on sait. Les deux formes sont proches et se croisent puisque pour ne pas dire ce qu’il sait, le menteur est bien souvent amené à déformer la vérité.

Dans les deux cas, mentir a à voir avec le fait de dire.

Il existe de nombreuses sortes de mensonges, dont ceux que l’on pourrait nommer « fondateurs » en ce qu’ils ont trait aux événements fondateurs d’une vie : la filiation, la naissance, la mort, les liens de sang, ces moments qui engagent le corps, ces temps forts d’une vie où le psychique se noue à sa charpente corporelle.

Ces mensonges cachent une vérité fondamentale à celui qui est trompé, une vérité qui touche aux fondements de son être. Ce qui ne lui est pas dit l’inscrit mal dans son histoire, lui fait méconnaitre une partie de lui-même et des liens qui le rattachent aux autres, enfin le situe de façon bancale dans son humanité.

Le menteur sait que son mensonge prive la personne trompée d’une partie d’elle-même, se sent coupable. Pourtant le mensonge surgit, comme malgré lui. Il s’installe et s’entretient dans un mouvement qui semble incontrôlable, qui le dépasse et sur lequel il n’a pas de prise.

Le menteur se raccroche tant bien que mal au sens commun pour justifier son mensonge, et tenter de se dégager de sa culpabilité : « Mieux vaut ne rien lui dire, la vérité serait trop dure, trop bouleversante, trop difficile à entendre ».

Mais difficile à entendre pour qui ?

Car dire la vérité amène à se l’entendre dire, et à la reconnaitre comme telle. Le menteur se met à la place du trompé et transforme ce qui lui est impossible à dire en un impossible à entendre pour l’autre. Mais ce qu’il ne dit pas est surtout impossible à entendre pour lui. Tant que la vérité n’est pas énoncée,  tant qu’elle n’est pas dite, il subsiste un flou, un doute. Le mensonge a ainsi pour fonction de créer pour le menteur un espace de liberté dans lequel il peut agir. En exerçant la faculté de ne pas dire ce qui est, il se dote d’un certain pouvoir. En créant Par sa parole qui déforme la réalité ou par son silence, il crée un monde plus acceptable, plus en accord avec ce qu’il lui est possible de supporter, lui. Le mensonge se révèle être une solution devant une vérité impossible à dire, en ce qu’elle renvoie pour le menteur à des faits ou des actes qui lui sont insupportables. Il fait office d’aménagement psychique et remplace ce qui ne peut être dit ; car dire aurait un effet de vérité.

Mais paradoxalement, le mensonge fait aussi figure d’impasse en ce sens qu’il est impossible de revenir en arrière. Tout en s’offrant un espace de liberté, de création, d’invention, le menteur s’enferme dans une histoire dont il ne pourra jamais plus sortir. Il reste à jamais lié à ce mensonge qui demande d’inventer sans cesse, pour tenir sa cohérence. Le mensonge est une im-passe au sens le plus littéral en ce qu’il ne peut jamais être dé-passé.

Le personnage d’Anna dans le dernier film de François Ozon, Frantz, illustre fort bien ce paradoxe dans lequel se met le menteur. Alors qu’elle ne peut supporter l’idée d’avoir rencontré et aimé l’assassin de son fiancé, elle fabrique un mensonge à l’attention des parents de son fiancé défunt, leur cachant la vérité sur les circonstances de la mort de leur fils. Il lui est impossible de leur dire la vérité, et ce mensonge lui permet de continuer de vivre. C’est la solution qu’elle se fabrique, mais qui a pour conséquence de l’enfermer dans une vie basée sur ce mensonge, et qui la conditionnera toujours désormais, une vie en impasse.

Se laisser aller à dire est au cœur du processus analytique. Il a pour effet d’apprivoiser les vérités qui nous constituent, de savoir distinguer les vérités qui sont les nôtres de celles qui ne nous appartiennent pas,  et de se dégager de l’effrayant qui peut être contenu dans la parole. Dire en analyse amène à ne plus avoir peur de sa propre parole. Dès lors, le mensonge n’est plus un recours. Une personne qui « dit » sur le divan n’a plus besoin d’aménager la réalité par des mensonges. Ou alors, elle n’en est pas dupe : le mensonge n’est pas un aménagement inconscient et impossible à controler devant un impossible à dire, mais une construction consciente dont les ressorts ont été identifiés, pensés et assumés sans culpabilité.

Sandra Hueber

inconscient, parole, silence

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